Comment fonder le droit de punir ? – Conclusion

Précédent : 2. La sortie du cadre juridique

Le droit pénal se trouve à l’intermédiaire du droit privé et du droit public puisque le crime est un tort porté à la fois à un individu et à la société – ce qui signifie que tout crime est politique au sens le plus fort du terme [1]. Il peut l’être selon différents degrés, rendant possible l’établissement d’une hiérarchie des crimes en fonction de leur ordre politique ou, ce qui revient au même, en fonction du degré de négation de l’autre. Or, lorsque le crime atteint ce niveau de négation totale de l’humanité de l’autre, par exemple dans le cas du génocide des Juifs tel que le procès d’Eichmann l’a éclairé, il n’est pas certain que le concept de crime contre l’humanité apporte une réponse claire et décisive quant à l’aspect qualitatif de la Shoah. Le tribunal de Jérusalem n’a pas su établir de différences absolues entre discrimination, déportation et génocide : y a-t-il un seuil qualitatif dans les décisions de Wannsee ? Si oui, alors il y a un seuil qualitatif entre crime de guerre et crime contre l’humanité. Lire la suite…

Comment fonder le droit de punir ? – 2. La sortie du cadre juridique

Précédent : 1. Le nécessaire fondement en raison

Si l’objectif de Kelsen est de construire un droit auto-légitimé ne trouvant son origine dans aucune autre sphère que juridique, il ne peut faire reposer le droit de punir que sur une « norme fondamentale supposée » qui ne légitime pas de façon totalement convaincante la sanction. En effet, d’autres modèles proposant des sources du droit de punir extérieures au cadre fermé du juridique peuvent sembler aussi légitimes : ainsi de la colère et de la vengeance à l’origine du châtiment chez Nietzsche ; ou l’examen de la dynamique historique du droit de punir au sein du mouvement général de l’institution d’une société disciplinaire chez Michel Foucault. Par ailleurs, les effets de bord induits par des changements d’échelle montrent d’autres difficultés quant à la fondation du droit de punir : quelle proportionnalité adopter lorsque le crime lui-même se fait crime au-delà des crimes et nie jusqu’à l’humanité d’individus ou de groupes entiers d’individus ?


Sommaire :
I. D’autres généalogies
A/ Le spectacle de la violence
B/ Châtier le corps, corriger l’âme
C/ La « société disciplinaire »
II. Punir le crime au-delà des crimes
A/ Légitimer un procès hors-normes
B/ Défendre l’indéfendable
C/ Juger l’extraordinaire


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Comment fonder le droit de punir ? – 1. Le nécessaire fondement en raison

Précédent : Introduction

La nécessité de fonder le droit de punir en raison est apparue avec la réforme juridique de la fin du XVIIIe siècle, afin de confisquer aux individus leur droit de se venger dans une société qui ne tolèrerait plus la violence individuelle, mais aussi de le débarrasser de l’arbitraire du souverain et de neutraliser en lui les racines religieuses, voire morales. Ce nécessaire fondement en raison, en rupture avec l’ordre précédent, repose avant tout sur le principe de proportionnalité, institué par la loi du talion, qui débouche progressivement sur celui de l’individualisation des peines. Au XXe siècle, un juriste positiviste tel que Hans Kelsen, cherche ainsi à fonder scientifiquement une Théorie pure du droit montrant que l’ordre juridique est socialement immanent et qu’il porte obligatoirement en lui la sanction.


Sommaire :
I. Le mouvement de réforme du XVIIIe siècle
A/ Contre l’excès de pénalité
B/ La recherche de la proportionnalité
C/ L’individualisation de la peine
II. La tentative du positivisme juridique
A/ Élaborer un droit de punir rationnel
B/ Définir l’acte illicite
C/ Légitimer l’ordre normatif juridique


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Comment fonder le droit de punir ? – Introduction

Avec cette nouvelle série de billets dans la catégorie « Ils pensent », je poursuis l’exploration de concepts qui me semblent importants, en prenant toujours pour guides quelques grands auteurs dont j’essaie de suivre pas à pas les réflexions, jusque dans leurs hésitations, leurs contradictions ou leurs impasses. L’objet de cette série : une question politique aussi fondamentale que vertigineuse – comment fonder le droit de punir ?, à partir des travaux de Michel Foucault, bien sûr, mais aussi Hans Kelsen, Friedrich Nietzsche et Hannah Arendt, entre autres. Lire la suite…

Sondages : une cure de désintox, vite !

FUMEUR D'OPIUM
Salle de rédaction recevant les sondages quotidiens

Sommaire
1. Une drogue médiatique
2. Dis, Cinci, l’opinion publique, c’est quoi ?
3. Petits éléments de critique des sondages à l’usage des citoyens qui en ont marre qu’on prétende parler à leur place
4. L’art (pas toujours) discret de la manipulation… et son efficace
5. Prophylaxie


1. Une drogue médiatique

Nous sommes des junkies des sondages. Tous les jours, plusieurs fois par jour, nous réclamons notre dose aux médias qui se comportent à la fois comme principaux dealers et comme plus gros consommateurs de cette drogue dure. Nous ne pouvons plus voir la réalité qu’à travers l’hallucination de ces psychotropes. Du fait divers le plus anodin jusqu’à l’élection majeure de notre système politique, il n’existe plus un seul événement, plus un seul fait social, économique ou politique, qui ne doive être « éclairé » par une multitude d’enquêtes réalisées avant, pendant et après sa survenue dans l’espace médiatique. La vérité se cache à nos yeux, seuls les chiffres exprimés en pourcentages de sondés peuvent la révéler. Continuer la lecture de Sondages : une cure de désintox, vite !